CHAPITRE II
Lorsque les remous d’une légitime émotion eurent cessé d’agiter les locataires, Tarchinini prit en main la direction des opérations. D’un ton où on ne retrouvait plus sa bonhomie ordinaire, il ordonna d’abord qu’on se tût, ensuite qu’on voulût bien se conformer à ses directives. Maître Bondena réagit, estimant que ce premier rôle lui revenait de droit.
— Ma qué ! signore, qu’est-ce qui vous donne la prétention de nous dicter notre conduite ?
Roméo répliqua sèchement :
— Ma qualité de commissaire de police.
Puis, à Fabrizio, que le tapage mené dans l’escalier, avait attiré, il commanda :
— Fabrizio, retourne te coucher. Signorina Savoza, auriez-vous la bonté de veiller à ce qu’il m’obéisse ?
Fabrizio n’éprouvait nulle envie de désobéir à un papa qui se transformait sous ses yeux et dont l’autorité soudaine l’emplissait d’une incommensurable fierté. Quant à Sophia, elle décampa, remorquant le gamin et sans solliciter la moindre explication.
Roméo s’adressa à Viarnetto.
— Docteur, il ne vous échappe pas, je suppose, que jusqu’à plus ample informé, vous êtes le principal suspect.
— Je jure que…
— Je vous en prie, docteur. En matière criminelle, plus qu’en toute autre, les serments ont peu de poids et ne remplaceront jamais les preuves. En foi de quoi, jusqu’à l’arrivée de la police, je vous enferme dans l’appartement de la signorina Fescarolo d’où vous sortiez. Venez docteur.
Le médecin mis sous clef, Tarchinini rejoignit les autres.
— Maintenant, si vous le voulez bien, tout le monde en bas, chez la comtesse.
Celle-ci qui recouvrait ses sens se remettait péniblement sur ses jambes avec l’aide d’un Tacento sans rancune. On entendit le gémissement de Sophia passant au-dessus de leur tête près du cadavre de Montarina et ordonnant à son petit compagnon :
— Ne regarde pas !
Pendant que maître Bondena – se contentant d’une lieutenance – entraînait les locataires chez la concierge, Tarchinini frappait rudement à la porte des della Chiesa. Hargneuse, Rosalinda, en camisole et bigoudis, ouvrit :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Descendez avec votre mari.
— Quoi ? A cette heure-ci ?
— Pas de ma faute, signora, si ce jeune homme a choisi ce moment pour se faire assassiner.
Don Pietro, son corps maigre serré dans une robe de chambre très usagée, venu se mêler au duo, protesta :
— Nous n’avons rien à voir dans cette sordide histoire.
— Peu importe, signore. Tout le monde doit attendre la police en bas chez la comtesse.
Rosalinda réagit avec fureur.
— Personne ne m’obligera à mettre les pieds chez cette créature !
— Préférez-vous que la police fasse irruption chez vous ? Si dans cinq minutes, vous ne nous avez pas rejoints, ce sont les agents qui viendront vous chercher.
Le Véronais gagna le rez-de-chaussée en compagnie de Sophia Savoza, qui le rassura sur la sagesse de Fabrizio.
Lorsqu’il eut tout son monde sous les yeux, avec la plus parfaite désinvolture, Tarchinini les enferma chez la comtesse et s’allant camper sur le trottoir, il troua le calme de la nuit florentine de stridents coups de sifflet. Bientôt, on perçut la galopade rythmée des agents. Ils arrivèrent, deux, hors d’haleine. Le plus jeune ayant repris le plus vite son souffle, apostropha Roméo :
— C’est vous qui menez tout ce bruit ?
— A ce qu’il paraît non ?
— Vos papiers !
— Pas le temps. Amenez-vous !
Les agents se regardèrent, stupéfaits d’une audace où ils flairaient la provocation. Le plus âgé entra dans le débat.
— Comme ça, vous n’avez pas le temps de nous montrer vos papiers, hé ? Alors, vous allez bien gentiment nous accompagner au commissariat, hé ?
— Ma qué ! Venez donc avec moi au lieu de débiter des sottises !
A nouveau les représentants de l’ordre s’examinèrent mutuellement pour s’assurer qu’ils avaient bien entendu. Cependant, le Véronais n’attendit pas la fin des cogitations policières pour tourner les talons et rentrer dans le palais où les agents se précipitèrent à sa suite. Ils grimpèrent l’escalier derrière lui et lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où le pauvre Montarina occupait une position incommode, Tarchinini s’écarta :
— Pour vous.
Les yeux ronds, les flics contemplèrent l’étrange cadeau. L’un d’eux ne put que dire :
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Un cadavre.
— Il… il est…
— Mort.
Le vieux protesta :
— Minute, signore ! faudrait commencer par nous expliquer ce que ce type fait là !
— Ma qué ! ça ne se voit pas ?
— Qui l’a tué ?
— Je l’ignore.
— Facile ! Allez, ouste, vos papiers ou sans ça…
— Sans ça, quoi ?
— Je vous emmène au poste !
— Et pendant ce temps, le meurtrier, s’il est encore-là aura tout loisir d’effacer ses traces, hé ?
L’agent s’adressa à son collègue :
— J’emmène ce type et toi, tu restes là, Anselmo.
— Tout seul ?
— Tu as peur ?
— Ce n’est pas que j’aie peur mais la solitude me colle des complexes…
Tarchinini intervint calmement :
— Je suis le commissaire Tarchinini de Vérone et voici ma carte.
A la vue du papier officiel, les agents rectifièrent la position pour un salut embryonnaire que Roméo interrompit sèchement :
— Si vous alertiez la police criminelle, hé ?
Anselmo, commis à la garde du cadavre, son collègue fila téléphoner ainsi qu’on le lui avait conseillé et Tarchinini rejoignit les locataires. Ils le regardèrent, silencieux, presque craintifs.
— Si le meurtrier de Montarina est là, il serait bien inspiré de se dénoncer. Il nous ferait gagner beaucoup de temps. De toute façon, il sera pris.
Ils s’épièrent les uns et les autres, mais nul ne parut disposé à se sacrifier pour le repos de ses colocataires et Roméo haussant les épaules, conclut :
— A votre guise ! Qui a ouvert la porte à Montarina ?
Après un silence, dona Rosalinda ricana :
— Pas difficile à deviner !
La comtesse avança pesamment vers son ennemie.
— Dites-le donc que c’est moi ! vous en mourez d’envie, hé ?
— Je le dirai si je veux !
— Si vous le dites, je vous fends la figure d’une oreille à l’autre, espèce de tordue !
Pour appuyer sa promesse, Maria Filippa empoigna un couperet qu’elle brandit sous le nez de la signora della Chiesa qui eut un râle d’épouvante. Tarchinini arracha l’arme des : mains de la concierge :
— Assez de cadavres pour cette nuit !
Se voyant défendue, l’épouse de don Pietro retrouva des forces pour accuser.
— Tout le monde est au courant de votre sale manège avec ce jeune homme ! Il n’y a que vous qui ayez pu lui ouvrir la porte !
— Ma qué ! pourquoi l’aurais-je fait, maudite de ta mère ?
— Sans doute pour lui apprendre à tricoter quand vos invités auraient été partis !
Satisfaite de cette pointe, donna Rosalinda eut un long hennissement de triomphe qui se termina en un cri de douleur lorsque la comtesse, avec une vivacité qu’on n’eût pas attendue de son corps déformé, ferma l’œil gauche de son ennemie d’un maître coup de poing. Don Pietro voulut, à son tour, se jeter au combat. Il eut la malchance de se trouver sur la trajectoire du bras de Maria Filippina se débattant entre Tacento et Bondena s’efforçant de l’immobiliser. Atteint de plein fouet à la mâchoire, le signor della Chiesa s’en fut tomber à plat ventre sur les genoux de sa femme qui le contempla de son œil atone, sans comprendre exactement ce qui leur arrivait à tous deux.
Toujours aussi essoufflé, le plus vieux des deux agents réapparut pour annoncer l’arrivée imminente de ces Messieurs de la Criminelle. Roméo remit au policier la clef de l’appartement d’Adda Fescarolo, prise au docteur, et lui donna l’ordre de rejoindre le suspect, de le surveiller. Dans le silence qui suivit cette décision, on entendit la signora della Chiesa proférer d’une voix lamentable à l’adresse de la comtesse, en montrant son époux :
— Vous l’avez tué…
— Risque pas ! des animaux de cette sorte ont la vie dure ! ma qué ! vous qui accusez toujours les autres, qu’est-ce que vous fabriquiez pendant qu’on s’amusait, tous ici, hé ?
— Mon mari et moi dormions, ou plutôt, nous essayions de dormir !
— A moins que vous n’ayez été en train d’assassiner ce pauvre Antonio ?
— Oh !
L’indignation galvanisa les forces de dona Rosalinda qui se leva d’un jet pour protester, mouvement qui eut pour effet immédiat de précipiter au sol son mari qui, retrouvant ses sens, essayait de deviner ce qui s’était passé et interrogeait les pieds placés à la hauteur de son visage :
— Je vous demande pardon, pouvez-vous me dire ce qu’il y a ?
Tacento l’empoigna par le col de sa veste, le remit debout et gronda :
— Cessez de faire le clown, ce n’est pas le moment !
Le signor della Chiesa se laissa mollement aller sur une chaise. Il ne comprenait pas et se demandait ce qu’un homme aussi bien-élevé que lui pouvait fabriquer à plat ventre chez la concierge ?
Les choses commençaient à tourner nettement à l’aigre et dona Rosalinda, au bord de la crise de nerfs, jurait qu’elle voulait mourir incontinent puisqu’aucun des hommes présents n’avait le courage d’imposer silence à cette comtesse qu’elle méprisait au point de lui refuser – le cas échéant – la permission de cirer ses chaussures. Ce à quoi, de la manière la plus incivile qui se puisse imaginer, la concierge prophétisa que si la della Chiesa continuait sur ce ton, c’est autre chose que ses chaussures qu’elle allait cirer et en public. Muet, semblable à un gros matou feignant de sommeiller pour mieux surveiller les promenades hasardeuses de souris imprudentes, Tarchinini guettait l’aveu que la dispute pouvait inconsciemment entraîner et laissait les événements suivre leur train, convaincu que la colère chez les suspects est la meilleure alliée des policiers.
L’entrée en scène d’une équipe que dirigeait le commissaire Luigi Rozzoreda suivi du médecin-légiste, Annibal Volargne, mit un frein à tees fureurs domestiques. Le commissaire ouvrit les bras à Tarchinini :
— Roméo ! Je ne pensais pas te revoir si tôt !
— Moi non plus, Luigi.
— Je ne te cache pas que lorsqu’on m’a réveillé pour m’annoncer un meurtre, je n’ai pas été des plus contents ! Ma qué ! lorsqu’on m’a précisé que tu étais de la partie, tout m’a semblé plus agréable. Qu’est-ce que c’est que ces gens ?
— Les locataires du palais.
— Bon. Docteur, on va voir notre client ?
En compagnie de Tarchinini et des spécialistes de l’Identité Judiciaire, Luigi Rozzoreda s’en fut contempler la dépouille du garçon-boucher. Laissant son équipe exécuter le travail auquel elle était rompue de longue date, le commissaire attira le Véronais dans un coin.
— Des soupçons, Roméo ?
— Pas le moindre.
— C’est toi qui l’as découvert ?
Le mari de Giulietta raconta ce qui s’était passé dans la soirée. En terminant, il conclut :
— Luigi, l’embêtant est que tout le monde a pu faire le coup car chacun, sous un prétexte ou sous un autre, s’est absenté au cours de la soirée. De plus, les della Chiesa n’y ont pas participé. De même, ce docteur Viarnetto dont la chute nous a tous attirés sur les lieux du crime, où on l’a trouvé le pistolet à la main.
— Un sacré manque de discrétion pour un criminel, hé ?
— Sûrement. C’est pourquoi je serais assez tenté de croire à son innocence. Il a très bien pu, en sortant de chez son amie – Adda Fescarolo – buter dans le cadavre et dégringoler la tête la première. En tout cas, je le tiens à ta disposition.
— Parfait. Il n’y a, en somme, que deux questions à résoudre : qui a ouvert au garçon-boucher, si ce n’est pas sa protectrice, et qui venait-il voir ?
Une ambulance ayant emporté le cadavre, Luigi redescendit dans l’appartement de la concierge où un inspecteur relevait l’identité des personnes présentes. Il achevait sa besogne lorsque le commissaire entra avec Roméo. Le Florentin s’adressa à l’assemblée :
— Personne n’a quelque chose à dire sur le meurtre d’Antonio Montarina ? J’entends quelque chose de sérieux ?
Il attendit en vain durant quelques instants.
— Parfait… Dans ces conditions, je reviendrai demain. Ceux d’entre vous qui travaillent devront laisser à l’inspecteur l’adresse où ils ont leur emploi. Les autres resteront chez eux. Qui a ouvert la porte à la victime ?
De nouveau, il laissa passer une trentaine de secondes avant de préciser :
— Ce que l’un d’entre vous ne veut pas avouer de son plein gré maintenant, il me l’avouera ailleurs, mais cela lui coûtera, sans doute, plus cher.
Soudain, Rozzoreda remarqua l’air bizarre de della Chiesa.
— Vous, là-bas !
Don Pietro le regarda.
— C’est à moi que vous vous adressez ?
— Avez-vous vu quelque chose ?
— Des pieds.
— Quoi ?
— J’étais à plat ventre avec des pieds partout autour de moi.
Le commissaire, le sourcil froncé, se tourna vers son collègue véronais en quête d’une explication. Roméo lui donna à entendre que le signor della Chiesa était nettement traumatisé. Luigi décréta :
— Allez tous vous coucher maintenant, il est trop tard pour entreprendre quoi que ce soit.
Les deux policiers regardèrent sortir les locataires. Au passage, Tarchinini arrêta Adda.
— Signorina, le docteur est chez vous sous la garde d’un agent. Je vous demande de ne pas lui adresser la parole tant que nous ne vous y aurons pas autorisée et ceci dans l’intérêt de votre ami.
Elle répondit par un signe de tête. Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls avec la concierge, Luigi s’enquit :
— Tu connais cette dame, je crois, Roméo ? Le Véronais recommença les explications touchant la camaraderie ancienne de sa Giulietta et de celle qui s’appelait alors Maria Tartuffi. Rozzoreda s’en prit directement à la comtesse :
— Alors, comtesse, est-il exact que la victime ait été votre bon ami ?
— Signor Commissaire ! comment osez-vous dire une horreur pareille ! une femme de mon âge !
— Pourtant, tout le monde semble d’accord…
Elle l’interrompit avec indignation.
— Ils sont toujours tous d’accord quand il s’agit de salir quelqu’un, surtout quand ils jalousent ce quelqu’un pour sa situation sociale… ! Je sais, je sais, je ne suis qu’une concierge, seulement ma présence et cet emploi modeste leur font honte ! Une comtesse qui balaie les escaliers…
— Et qui a pour ami un garçon-boucher.
— Signor Commissaire, Antonio était un pauvre enfant perdu dans cette grande ville… Orphelin, n’ayant jamais connu ses parents. Il retrouvait un peu de la chaleur du foyer qu’il n’avait pas eu, en venant chez moi… Nos malheurs nous avaient rapprochés en dépit de nos différences de condition… Je suis très seule, signor Commissaire… Antonio était comme le fils que j’aurais pu avoir si don Gastone avait vécu au lieu de tomber pour la liberté de l’Italie !
— Ce n’est pas vous qui avez ouvert la porte de la rue à la victime ?
— Jamais de la vie ! Antonio ne se cachait pas pour venir chez moi.
— Alors, qui lui a ouvert ? Elle haussa les épaules.
— Comment le saurais-je ?
— Si Montarina est entré à votre insu, chez qui donc se rendait-il ?
— Je n’arrive pas à croire qu’il ait eu une intrigue dans ma maison et qu’il ne m’en ait rien dit !
Désespérée, elle gémit :
— On est donc toujours trahi !
Abandonnant la concierge à ses imprécations contre un destin injuste, les policiers montèrent chez Adda Fescarolo où l’agent surveillant le suspect, leur ouvrit la porte. Tout de suite, Roméo s’enquit :
— Se sont-ils parlé ? Le flic redressa le torse.
— Non, signor Commissaire. Pas un mot. Ils n’ont même pas essayé d’ailleurs et ils ont bien fait car je ne le leur aurais pas permis !
Rozzoreda ordonna :
— Bon. Maintenant, veillez devant la porte à ce que personne ne vienne nous déranger.
Dans le petit salon fort discrètement meublé, le docteur Viarnetto assis sur le divan-lit, la tête dans ses mains, semblait insensible à la mite du temps. Tarchinini le présenta à son collègue florentin qui prit la direction des opérations :
— Vous avez vos papiers, docteur ?
Viarnetto les lui montra. Après les avoir consultés, Luigi les lui rendit :
— Le commissaire Tarchinini m’a mis au courant… Inutile de vous préciser, je pense, que vous vous trouvez dans une situation difficile ? Alors, le mieux serait que vous nous racontiez ce qu’il s’est passé, hé ?
— J’ai trente-huit ans, signor Commissaire. J’ai durement travaillé pour devenir médecin, car j’étais sans le sou. Tout ceci pour vous expliquer que je n’ai jamais eu le temps de beaucoup penser aux femmes. Et puis, j’ai rencontré Adda… Je l’aime et elle m’aime…
Un peu étonné, Rozzoreda entendit son collègue soupirer :
— Ah ! l’amour…
Et crut être le jouet d’une illusion en surprenant le Véronais en train d’écraser une larme à sa paupière, gauche. Il chuchota :
— Ça ne va pas, Roméo ?
— Pardon ? Oh ! si, cela va très bien, au contraire… Alors, docteur, pourquoi n’épousez-vous pas votre Adda ?
— Parce qu’elle ne le veut pas.
— N’en croyez pas un mot ! Tenez, moi, quand j’ai proposé à ma Giulietta d’unir nos deux destinées, elle en a fait des manières ! Les femmes sont toutes les mêmes, elles souhaitent qu’on leur force la main… peut-être pour pouvoir se figurer avoir été enlevées, hé ? Ma qué ! si vous l’aimez vraiment votre Adda, épousez-la et ne vous souciez pas de ce qu’elle raconte ! pas vrai, Luigi ?
Le Florentin faillit rappeler à Roméo qu’ils n’étaient pas là pour donner des leçons de stratégie amoureuse à un homme suspecté de meurtre, mais il se retint car le Véronais paraissait baigner dans un climat passionnel.
— Je ne te savais pas si versé dans la connaissance des femmes ?
Le Véronais passa un doigt coquin sur ses moustaches.
— Ma qué ! j’ai été jeune, Luigi… La vérité m’oblige à confesser que je n’en ai jamais rencontré qui se soit montrée insensible… Même maintenant, s’il n’y avait pas Giulietta et les bambini… tu me comprends, Luigi ?
D’un clin d’œil Rozzoreda assura son collègue qu’il le comprenait fort bien, cependant il ne crut pas nécessaire d’ajouter qu’il ne le croyait pas et revint à Viarnetto.
— Pour quelles raisons la signora Fescarolo refuse-t-elle de devenir votre épouse légitime ?
— A cause de Giacomo, un petit qu’elle a eu… Une erreur… Elle a cru qu’elle pouvait avoir confiance… et puis, l’homme est parti.
Tarchinini s’emporta :
— Tu entends, Luigi ? Cette malheureuse… poverella ! Un homme comme ça, si je le tenais, je l’étranglerais de mes propres mains… en pensant qu’il aurait pu faire la même chose à ma Giulietta ! Effaré, Rozzoreda balbutia :
— A ta femme ?
— A ma fille… Tu la vois d’ici, la pauvrette, toute honteuse, toute déshonorée, n’osant pas me confier sa faute… Comme je la connais, ma Giulietta, elle aurait été capable de se jeter dans l’Adige et moi, je n’aurais plus eu d’enfants !
Ecrasé par cette perspective affreuse, Roméo se mit à sangloter bruyamment, Luigi n’en revenait pas. Il n’était pas possible que son ami jouât la comédie à ce point-là. Force lui était donc d’admettre qu’il était sincère.
— Allons, Roméo, reprends-toi ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ta Giulietta ne s’est pas jetée dans l’Adige que je sache ?
Subitement, sans la moindre transition, Tarchinini passa des larmes à la colère.
— Non, elle ne s’est pas jetée dans l’Adige, mais dans les bras d’un Américain et si tu veux mon avis, Luigi, ce n’est pas mieux ! Là-bas, dans son pays perdu, elle est encore plus loin de moi que si elle dormait au cimetière ! Je ne comprendrai jamais qu’un gouvernement puisse laisser des Barbares venir enlever nos filles sans même protester !
— Giulietta s’est mariée contre ton gré ?
— Elle n’aurait pas osé ! la prendrais-tu pour une fille dénaturée ?
— Ma qué ! pourquoi le gouvernement s’y serait-il opposé si, toi, le père, tu étais d’accord ?
— Pardon ! j’ai fait semblant d’être d’accord !
— Et pourquoi ?
Comme si la chose allait d’elle-même, Roméo répondit :
— Pour ne pas la peiner, la pauvrette ! Déconcerté, le Florentin revint au suspect.
— Docteur, en quoi la présence de cet enfant empêche-t-elle votre mariage, puisque vous l’acceptez ?
— Adda estime qu’elle n’a pas le droit… Elle se persuade que ce serait une malhonnêteté de sa part… enfin, un tas de sottises !
— Que vous espérez surmonter ?
— Oui… Je m’entête. Adda n’est pas ma maîtresse, signor Commissaire… Je viens la voir tous les jours… Je veux croire qu’elle finira par admettre que mon amour est assez fort pour passer sur une faute dont elle n’est pas responsable.
— Bravo !
Transporté, Tarchinini ne pouvait plus se contenir. Rozzoreda se fâcha :
— Roméo, je t’en prie !
— Ma qué ! tu ne veux pas me laisser entendre que l’amour ne t’intéresse pas, hé ?
— Pour l’instant, la question n’est pas là !
— Erreur, Luigi ! Elle est là la question et pas ailleurs ! Adda l’aime, il aime Adda, qu’est-ce que le garçon-boucher aurait à voir dans cette idylle ?
— C’est justement ce qu’il m’incombe de découvrir, figure-toi !
— Tu perds ton temps !
Sec, le commissaire rétorqua :
— J’en suis seul juge !
Vexé, Tarchinini quitta la pièce, s’enquit auprès de l’agent de l’endroit où s’était réfugiée la jeune femme et s’en fut toquer à la porte de celle-ci. En voyant entrer le Véronais, Adda agenouillée près du petit lit où dormait Giacomo, se leva.
— Signor Commissaire…
Sans un mot, Roméo vint à elle et avant qu’elle n’ait pu comprendre ses intentions, il la prenait dans ses bras et lui plaquait un gros baiser sur chaque joue. Sidérée, elle n’eut aucune réaction ce qui laissa le temps à Tarchinini de s’expliquer :
— Je vous embrasse pour le docteur et pour moi. Adda Fescarolo, vous êtes une fille pas comme les autres. Si j’avais vingt ans de moins et pas de Giulietta ni de bambini, je vous enlèverais ! Nous sommes ainsi à Vérone, tandis que ces Florentins me semblent manquer de globules rouges ! Epousez le docteur Viarnetto avant qu’il ne devienne fou !
Se penchant sur le lit, il s’enquit :
— Le voilà donc l’angelo qui brouille les cartes ! Il est presqu’aussi joli que sa maman ! Il paraît que lorsque j’étais bébé, il n’y avait pas plus mignon que moi !… Lorsque ma marna à moi me promenait la piazza Bra, les gens l’arrêtaient pour lui demander la permission de me regarder. La marna devait presque se battre pour empêcher les curieux de m’embrasser.
Ce fut plus fort qu’elle et Adda se mit à rire.
Lorsqu’un quart d’heure plus tard, Rozzoreda, à la recherche du Véronais, entra dans la chambre d’Adda, il hésita à croire à la réalité de ce qu’il voyait : le commissaire Tarchinini, à quatre pattes, un bébé riant aux éclats sur le dos où sa mère le maintenait, parcourait le tapis en hennissant. La présence de son collègue ne parut pas troubler outre mesure le mari de Giulietta que le Florentin dut rappeler à l’ordre !
— Roméo !
Tarchinini se releva après qu’Adda eut enlevé son fils du dos du policier.
— Roméo… J’ai laissé le docteur Viarnetto en liberté.
— Tu as bien fait, il est innocent.
— Qu’en sais-tu ?
D’un geste large, Tarchinini montra la mère et l’enfant.
— La preuve ? La voilà !
Derechef, il embrassa Giacomo, Adda, passa son bras sous celui de Rozzoreda.
— Filons, Luigi, on risquerait de les gêner.
Sur le palier, Rozzoreda s’enquit :
— Tu connais cette jeune femme ?
— Non pourquoi ?
— Mais, tu l’embrassais ?
— Et alors ! Je ne l’embrassais pas parce que je connaissais sa famille, mais parce que j’avais envie de l’embrasser. Vous avez quand même de drôles d’idées, à Florence !
Rozzoreda se demanda si son vieil ami ne se moquait pas de lui. Dans l’incapacité où il se trouvait de répondre à cette question, il préféra changer de sujet :
— Viarnetto est amoureux et, comme tous les amoureux, il se conduit à la façon d’un sot. Furieux de constater que sa bien-aimée consacrait à la concierge une soirée qu’il voulait passer à ses côtés, il est allé l’attendre chez elle. Naturellement il possède une clef de l’appartement. La nommée Adda est montée à plusieurs reprises pour calmer sa stupide jalousie, mais il était de très méchante humeur. Pour donner une leçon à celle qu’il tenait pour ingrate, il décida de filer en douce et c’est la raison pour laquelle il n’a pas donné la lumière dans l’escalier. Je crois qu’il dit la-vérité.
— Moi, j’en suis sûr.
— Pourquoi ?
— Parce que quand on a la chance d’être aimé par une fille comme Adda, on n’a pas envie de tuer qui que ce soit !
Rozzoreda examina son collègue.
— Dis donc, Roméo, tu conduis toujours tes enquêtes de cette manière ?
— Toujours.
— Et tu arrives à des résultats !
— Il paraît, mon bon.
— C’est à n’y rien comprendre !… Allez, bonne nuit… Passe à mon bureau demain vers dix heures…
— Entendu.
Ils se serrèrent la main et Tarchinini remonta jusqu’au dernier étage où il entra dans sa chambre, sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller Fabrizio.
*
* *
Cette nuit-là, Tarchinini eut des rêves aimables. Sa femme avait soudainement pris le visage et la jeunesse d’Adda, Giacomo était devenu, par le miracle des songes, l’ingrate Giulietta partie aux Amériques et lui-même, Roméo, ressemblant plus encore aux héros dont il portait le nom, descendait merveilleusement des échelles vertigineuses en portant plusieurs femmes dans les bras. Le subconscient du Véronais était toujours plein de tendresse et d’illusion.
Au matin, Tarchinini ouvrant l’œil sur un jour qui, apparemment, ne présentait rien d’exceptionnel en marqua quelque dépit. Il se leva sans bruit pour ne pas déranger Fabrizio et, enfilant une robe de chambre, entreprit d’écrire à sa femme pour lui raconter les vicissitudes d’un malheureux voyageur chez les Florentins en général et la comtesse en particulier. Emporté – ainsi qu’à l’accoutumée – par sa belle imagination, Roméo exagéra un peu, appuya sur la note dramatique à seule fin de réchauffer dans le cœur de Giulietta cette admiration à laquelle il était habitué et dont il ne pouvait plus se passer. Au moment de clore l’enveloppe, il pensa que la marna serait heureuse d’avoir des nouvelles de Fabrizio, de la main même de l’enfant. Il laissa donc la lettre ouverte pour un post-scriptum rassurant.
Sa toilette achevée, Roméo embrassa son fils qui se réveilla sous la caresse paternelle, ce dont le papa profita pour lui donner ses instructions.
— Fabrizio, tu as constaté qu’il s’est déroulé un grave événement dans cette maison, hier. Nous ne resterons pas ici. Je me rends de ce pas chez mon ami, le commissaire Rozzoreda le saluer et, s’il le faut, lui donner quelques conseils pour mener à bien son enquête. Nous devons toujours faire profiter les autres de nos expériences ou des dons exceptionnels que la nature a mis en nous, ce qui est mon cas. Toi, pendant ce temps, tu vas te laver – tu me montreras tes oreilles lorsque je reviendrai – tu t’habilleras, tu ajouteras un mot à la lettre que j’ai écrite à la marna et tu attendras bien sagement mon retour. Puis-je compter sur toi, Fabrizio ?
— Tu le peux, papa.
En « hommes » qui se respectent mutuellement et s’estiment, le père et le fils échangèrent une poignée de main qui scella leur accord et leur confiance.
Sur le palier, alors qu’il refermait sa porte, Tarchinini salua Sophia qui ouvrait la sienne. Tout de suite, Roméo sentit qu’il y avait quelque chose de changé dans l’attitude de la jeune femme. Il mit un certain temps, toutefois, à se persuader que ce changement tenait à ce qu’elle était habillée. Pull-over à col roulé, pantalon, disaient assez l’émoi de Sophia qui n’était plus elle-même. Elle répondit à peine au salut du policier et courut s’enfermer chez elle avec la mine effarouchée d’une nymphe poursuivie par un satyre. Flatté de susciter encore des angoisses de cette qualité, Roméo descendit l’escalier, prêta l’oreille du côté de chez la voyante et n’entendit rien. De l’appartement d’Adda, parvenaient les cris de Giacomo qui, lui non plus, ne semblait pas de très bonne humeur. Se donnant pour prétexte que la signorina Fescarolo était un peu sa protégée, le Véronais gratta à sa porte. Adda, déjà fraîche et pimpante en dépit de l’heure matinale, accueillit le policier avec le sourire. Visiblement, elle éprouvait une grande sympathie pour ce petit gros si bavard et si affectueux. Il l’avait conquise par sa façon de se comporter avec Giacomo.
— Signorina, je ne vous dérange pas. Simplement une question : comment avez-vous passé la nuit ?
— Bien, je vous remercie.
— Et… mon ami Giacomo ?
— Oh ! lui… Il vient juste de se réveiller… Signore je voudrais vous remercier pour votre bonté…
— Ta ! ta ! ta ! ta ! Aucun mérite… Je déteste voir les jolies filles malheureuses et l’amour menacé. D’ailleurs, mon petit, tout ceci ne serait pas arrivé – je veux dire les ennuis du docteur Viarnetto – si vous l’aviez épousé ainsi qu’il vous l’a demandé ! Vous savez très bien qu’il vous adore, vous et Giacomo, alors pourquoi retarder encore votre bonheur ?
— Vous avez peut-être raison.
— J’ai raison… Ma qué ! si j’étais à la place du Docteur, je vous aurais épousée de force ! voilà comment nous sommes à Vérone !
Et pour bien témoigner de sa sincérité, Roméo trouva tout naturel d’embrasser une fois encore cette Adda qui, décidément, lui plaisait de plus en plus. La maman de Giacomo, un peu surprise par cette tendre familiarité, pensa que Vérone devait être une ville bien agréable à habiter si tout le monde y ressemblait à ce policier.
Tarchinini arrivait sur le palier du second lorsqu’il croisa une grande et belle fille traînant dans son sillage des remous parfumés. Il la salua à sa manière, c’est-à-dire avec une emphase qui ne pouvait manquer de retenir l’attention avant de susciter l’amusement.
— Il m’est heureux, signorina, de rencontrer une aussi belle personne en commençant ma journée. C’est de bon augure pour son déroulement.
— Oh ! vous savez, signore, c’est une joie que vous pouvez vous offrir tous les jours puisque je travaille ici en qualité de secrétaire de maître Bondena.
Toujours galant, Roméo qui ne pouvait apercevoir une femme sans en tomber platoniquement amoureux, roucoula :
— Me permettrez-vous, signorina, de vous confesser que je vous trouve terriblement séduisante ?
— Vous ne me déplaisez pas non plus, signore…
Pour prononcer ces quelques mots, elle avait eu des inflexions de voix si tendres que le Véronais dut se cramponner à la fois au souvenir de sa Giulietta et à la rampe d’escalier pour ne point se jeter en rugissant d’amour sur la belle qui, avant d’ouvrir la porte du bureau de maître Bondena, lui jeta :
— Je m’appelle Margherita Canneto… pour vous servir.
Roméo avait le souffle court en entamant la dernière volée d’escalier où il se heurta à Mario Tacento partant pour son travail. Par lui, il apprit que les policiers étaient déjà venus procéder à une enquête et qu’en conclusion de celle-ci, ils avaient permis à chacun de reprendre son existence normale.
Roméo crut de son devoir d’aller saluer la comtesse qui avait sans doute – bien qu’elle s’en défendît – été frappée dans ses amours incongrues. Elle le reçut, triste et dolente, lui offrit une tasse de café et incontinent, se mit à pleurer.
— Après don Gastone, Antonio… L’homme qui était mon mari et celui qui me donnait l’illusion d’avoir un fils… Mes deux compagnons… Me voici de nouveau seule et je serai seule pour mourir signor Tarchinini…
Profondément ému, le Véronais faillit y aller de sa larme. Il se reprit en déclarant d’une voix forte :
— Comtesse, nous ne pouvons plus rien en faveur d’Antonio Montarina sinon prier pour son repos éternel, mais il vous incombe d’aider la police de toutes vos forces afin de retrouver le meurtrier du malheureux garçon.
— Si je le tenais dans mes mains, celui-là !
— Voyons, comtesse, à votre idée… qu’a-t-il pu se passer ?
— Hélas !… je l’ignore.
— Antonio savait-il que vous offriez une soirée ?
— Oui.
— Vous ne l’y aviez pas invité ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Sa présence en aurait choqué plus d’un !
— Mais il est venu quand même.
— Le malheureux…
— Vous n’avez pas le moindre soupçon sur l’identité de son meurtrier ?
Elle parut hésiter puis, se décidant brusquement :
— Pour qu’il se soit glissé à mon insu dans l’escalier c’est qu’il ne tenait pas à ce que je sois au courant de sa présence ici… Pourquoi ? parce qu’il craignait que je ne me fâche ou que j’en aie de la peine… alors, signor Tarchinini, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre qu’une intrigue, hé ?
— Qui ?
— Ma qué ! c’est pas difficile de compter celles qui sont encore en état d’éveiller l’amour dans un cœur aussi pur, aussi naïf que celui de mon pauvre Antonio, hé ? la Paola Tacento n’en parlons pas, on dirait un canneloni qu’on a oublié dans l’eau bouillante… La Rosalinda, c’est pas la peine d’insister, hé ?… La pauvre Luisa Bondena est une morte-vi van te… Il y aurait bien la Margherita Canneto, la secrétaire de l’avocat, mais elle n’est pas là la nuit… La Tosca est folle et plutôt défraîchie… Alors, signor Tarchinini, il ne reste plus que la Sophia et l’Adda. La première, elle n’a pas d’ami en titre capable d’être jaloux au point de tuer un rival… Reste Adda qui ne veut pas épouser son amoureux, le docteur. Peut-être qu’elle refuse le mariage parce qu’elle a un autre amour au cœur ? Peut-être que c’était Antonio hé ? Dans ces conditions, l’assassin, ça serait bien ce monstre de Viarnetto.
Quoi qu’il en eût, Tarchinini ne trouvait rien à répondre à cette démonstration logique. Il lui déplaisait souverainement de penser qu’Adda avait pu éprouver quelque tendresse envers ce garçon boucher que la comtesse seule prenait pour un tendre jouvenceau. Préoccupé, le Véronais s’en fut au rendez-vous donné par Luigi Rozzoreda.
*
* *
Luigi accueillit Roméo avec une chaleur qui surprit un peu le mari de Giulietta.
— Tu ne peux pas deviner à quel point je suis heureux de te voir !
— Il n’y a pourtant pas longtemps que nous nous sommes rencontrés ?
— Je craignais que tu ne fusses reparti pour Vérone.
Très digne, Tarchinini se contenta de dire :
— Je t’avais donné ma parole, Luigi.
— Excuse-moi d’en avoir pu douter. As-tu bien dormi ?
— Magnifiquement.
— Et le petit ?
— Comme un loir.
— Bravo ! As-tu vu les locataires de ton palais, ce matin ?
Le Véronais exposa ses impressions au commissaire Rozzoreda. Il dit ce sentiment unanime de malaise, presque de crainte, paraissant régner dans la maison. Il exposa la théorie de la comtesse et eut quelques mots gentils pour sa peine qui le touchait. Luigi ricana :
— Un conseil, Roméo, garde ta pitié pour d’autres qui en seront plus dignes.
— Ça signifie quoi cette remarque ?
— Que ta comtesse n’est pas plus comtesse que je suis pape. Elle s’appelle tout simplement Maria Tegiano et son époux Gastone Tegiano était une fripouille, du genre mineur, bien connue des services spécialisés. Il a gagné sa vie, pendant l’occupation, en trafiquant avec les Allemands et en se livrant au marché noir. Il a été Fusillé à la libération pour avoir vendu des Résistants qui avaient eu confiance en lui.
Tarchinini tombait de son haut et ce fut presque timidement qu’il demanda :
— Et elle ?
— Il ne semble pas qu’elle ait trempé dans toutes ces saloperies.
Roméo eut un soupir de soulagement tandis que son collègue poursuivait.
— Son plus grand défaut est d’être sotte et bornée. Elle croit tout ce qu’on lui dit et ne se pose guère de questions pourvu que la vérité qu’on lui présente flatte sa stupide vanité. Ainsi, cet Antonio Montarina n’était pas du tout le coquebin qu’elle imaginait, mais un gentil maître-chanteur qui a déjà tiré cinq ans de prison pour ce motif.
— Ma qué ! ce n’est pas possible !
— Pour compléter ta documentation, je puis ajouter que les della Chiesa ont eu aussi maille à partir avec la justice autrefois pour détournement de mineur, que Maître Bondena n’est guère tenu en grande estime au Palais de Justice, que Tosca del Valeggio a eu, également, de gros ennuis, il y a une dizaine d’années à Milan où elle était considérée comme une remarquable voleuse à la tire. En bref, à part le nommé Tacento, un imbécile parfait, Sophia Savoza qui, malgré son métier, paraît être une brave fille, tous les autres ne sont guère recommandables.
La gorge serrée, Roméo chuchota :
— Et Adda Fescarolo ?
— On ne sait pas.
— Et lui ?
— Le docteur Viarnetto jouit d’une parfaite réputation, mais la jalousie peut pousser aux plus regrettables extrémités les esprits les plus sensés.
Le Véronais insista.
— Mais elle ?
— Je te répète qu’on ignore presque tout de cette fille. Elle n’est pas florentine et a sûrement menti en donnant son lieu d’origine à la police car on ne la connaît pas là où elle prétend être née. On ignore également qui est le père de l’enfant qu’elle a avec elle.
La voix de Roméo était nettement enrouée lorsqu’il conclut :
— Dommage… Et la secrétaire de Maître Bondena, cette Martherita Canneto ?
— Une fille vraisemblablement sans scrupules et qui ne réclame des hommes que ce qu’ils sont susceptibles de lui donner sans trop d’histoires : l’argent. Pas de casier judiciaire.
— Tandis qu’Adda…
— Non plus ! Puisque je te répète qu’on n’a aucune idée de l’endroit d’où elle est venue, il y a trois ans. N’exagère pas, Roméo ! Elle n’est peut-être pas la Madona que tu semblais avoir devinée en elle hier soir, mais elle n’est pas davantage – et jusqu’à preuve du contraire – une criminelle.
— Giulietta fera une drôle de tête quand je lui raconterai tout ça !
— Je compte sur toi pour le lui raconter de telle façon qu’elle croira de tout son cœur que tu as échappé à mille dangers grâce à ton intelligence supérieure.
Piqué, Tarchinini protesta :
— Dis tout de suite que tu me prends pour un menteur, Luigi !
— Oh ! que non, mon Roméo ! je te prends pour ce que tu es, incorrigible don Giovanni qui ne cessera de troubler les femmes que lorsqu’il dormira sous terre !
Le Véronais se signa, en murmurant :
— Ne parle pas ainsi, Luigi, tu risquerais de me jeter le mauvais sort ! Je regrette pour Adda… Ne te braque pas trop vite contre elle, hé ? Donne-lui sa chance… Elle est jeune, elle est jolie…
— … et le commissaire Tarchinini éprouve pour elle des sentiments…
— Paternels, Luigi, paternels !
— Ma qué ! Roméo, ce genre de sentiments paternels peut très bien conduire aux Assises le père qui les éprouverait !
Rozzoreda éclata de rire alors que Roméo rougissait pudiquement. Il attendit que son collègue en eût terminé avec cette joie, à son avis, plutôt déplacée, pour se lever.
— J’aurais aimé que ce voyage à Florence se fit sous d’autres auspices, Luigi, mais franchement, je pars sans regret. En tout cas, je suis content de t’avoir retrouvé.
Roméo tendit la main à son ami. Ce dernier ne la prit pas. Tarchinini hésita une seconde avant de demander d’un ton ému :
— Tu me refuses la main, Luigi ?
— J’y suis obligé, Roméo.
— Je ne comprends pas !
— Je ne peux pas te serrer la main avant que tu ne m’aies pardonné le méchant tour que je t’ai joué.
Il y eut un brin d’inquiétude dans la voix du Véronais.
— Explique-toi, voyons !
— Ma seule excuse, Roméo, tient dans l’admiration que je te porte.
— C’est très gentil à toi et je suis flatté mais…
— … voilà la vraie raison pour laquelle je me suis adressé aux plus hautes autorités par l’intermédiaire d’un député de mes amis pour…
— Pour ?
— … pour que, détaché de Vérone durant la durée de l’affaire, tu sois chargé de l’enquête.
Douloureux, Roméo gémit :
— Tu as fait ça, Luigi ?
— J’ai fait ça, Roméo. Je te prie de me pardonner.
— Ce n’est pas une blague, hé ?
Rozzoreda tendit à son ami un télégramme.
— De ton patron.
Tarchinini trouva dans la dépêche confirmation des propos du Florentin qui enchaînait :
— Bien sûr, nous prenons les frais de ton séjour à notre charge. Ta chambre t’attend à l’Astoria.
— Merci. Ce n’est pas à l’Astoria qu’est la solution du problème, mais au palais Bignone, j’y reste.
Sincère, le commissaire s’exclama :
— Tu es superbe, Roméo !
— Je sais. Je t’avertis, Luigi, que je n’ai pas l’intention de moisir à Florence. D’ici quarante-huit heures, je t’aurai trouvé ton coupable et je reprendrai le train.
Sceptique, Rozzoreda protesta :
— Tu ne te vantes pas un peu, Roméo ?
Avec une sincérité émouvante, le papa de Fabrizio répliqua :
— Je ne me vante jamais !
Il le croyait.
— Quand commences-tu ?
— Tout de suite. Je retourne à San Frediano.
— Combien veux-tu d’inspecteurs à ta disposition ?
— Un. Plus on est nombreux, moins on avance.
— Je crois avoir celui qu’il te faut. Je l’enverrai te rejoindre sitôt qu’il sera rentré. Note que pour toi, Roméo, cette histoire ne devrait pas présenter de grosses difficultés. Nous savons que la victime était maître-chanteur. Il te suffit donc de découvrir qui il faisait chanter. L’ennui, évidemment, c’est qu’il y a plusieurs locataires qui ont la conscience un peu chargée. Ce n’est qu’une question de tri.
Tarchinini contempla son collègue avec une incrédulité attendrie et il y mit tant d’insistance que l’autre regimba :
— Qu’est-ce que tu as à me regarder de la sorte ?
— Ma qué, Luigi, tu me fais de la peine ! Alors, sous prétexte qu’un type a été en prison pour chantage, tu te figures qu’il s’adonnera au chantage toute sa vie ?
— Quelle autre raison aurait-il eue de se glisser nuitamment dans le palais de San Frediano ?
— L’amour.
— Que me chantes-tu là ?
— Luigi, n’oublie pas que je suis Véronais et qu’à Vérone, nous respirons l’amour en venant au monde ! Avant notre dixième année, nous sommes persuadés qu’il n’y a rien de plus important au monde et que l’amour, heureux ou malheureux, est à la base de tout !
— Si je te comprends bien, ton Roméo-garçon boucher s’en allait rejoindre une Giulietta lorsqu’il a été tué ? par un Capulet, j’imagine ?
— Peut-être par celui qu’il faisait chanter et qui a profité de son imprudence.
— Toujours romantique, hé ?
— Mais efficace, Luigi, tu t’en rendras compte bientôt.
Lorsque Tarchinini, plein d’une fierté incommensurable, sortit du palais de la police, il s’étonna que les carabiniers de service ne lui présentassent pas les armes.
*
* *
Roméo trouva son fils bien sagement assis et qui se contenta de remarquer :
— T’as été long. Je m’embête drôlement.
— Fabrizio, écoute-moi. Tu vis un moment que tu auras de la fierté à te rappeler plus tard.
— Ah ?
Le petit ne paraissait pas témoigner d’un enthousiasme excessif. Son père en fut piqué.
— Tu n’ignores pas que cette nuit…
Le gosse l’interrompit :
— On a zigouillé un type. Il me plaisait pas. Ça lui apprendra !
— Figure-toi que les policiers de Florence ne se sentent pas de taille à découvrir le coupable et que, profitant de la présence du célèbre Tarchinini dans leurs murs…
— C’est toi le célèbre Tarchinini ?
— Ma qué ! qui veux-tu que ce soit d’autre, hé ?
— Alors, moi aussi je suis célèbre puisque je suis ton fils ?
— Tu n’auras aucune peine à le devenir si tu t’appliques à me ressembler. Quoi qu’il en soit, les Florentins m’ont supplié de leur venir en aide et je vais leur donner une leçon avant que nous ne regagnions Vérone.
— Et la mama ?
— Quoi, la mama ?
— Qu’est-ce qu’elle dira si on rentre pas ?
— Apprends, mon enfant, qu’au-delà des obligations familiales, il y a le devoir et qu’un fonctionnaire doit tout sacrifier à son devoir. Tu comprends ?
— Je comprends surtout que si on arrive en retard, c’est la mama qui criera et pas le devoir !
Pour la première fois, Roméo se demanda si cet enfant sur lequel il fondait tant d’espérances, ne le décevrait pas.
C’est alors qu’on frappa à la porte. Fabrizio s’en fut ouvrir et recula d’un pas devant le mastodonte se tenant sur le seuil.
— Signor commissaire Tarchinini ?
Roméo, les yeux écarquillés, contemplait cette montagne vivante. Dans les 1,90 mètre de haut et 140 kilos bon poids.
— Lui-même.
— Inspecteur Enrico Bergama, à votre disposition.
— Ce ne doit pas être commode pour vous de procéder à une filature.
— On m’emploie surtout pour les interrogatoires et les arrestations. Je suis très fort.
— Je m’en doute. Le commissaire Rozzoreda Croirait-il que je cours un danger pour m’offrir un pareil garde du corps ?
— On court toujours un danger, signor Commissaire, quand on traque un assassin.
Roméo déglutit un peu difficilement. Au fond, il avait peut-être eu tort de s’entêter à demeurer dans le palais, surtout avec Fabrizio. Seulement, il ne pouvait plus se reprendre, sous peine de perdre un peu la face aux yeux des Florentines et de cette éventualité, il ne pouvait être question.
— Asseyez-vous, inspecteur.
Enrico enveloppa d’un regard méfiant le siège qu’on lui offrait avant de conclure :
— Je pense qu’il est préférable que je reste debout, signor Commissaire.
— Bon. Voici les ordres : tous les renseignements possibles sur Adda Fescarolo qui habite ici, sur la victime Antonio Montarina et sur le docteur Viarnetto qui a son cabinet au 327 de la via San Agostino. Après, vous déjeunez avec le petit et moi ? Nous nous retrouvons à 13 heures… où ?
— Où vous voudrez, signor Commissaire.
— Je ne connais pas assez Florence. Attendez ! vous emmenez le petit avec vous et vous lui montrerez un peu les monuments que vous rencontrerez sur votre chemin. A 13 heures devant le palazzo Vecchio.
L’inspecteur ne paraissait pas autrement enchanté d’être transformé en bonne d’enfant, mais sans répliquer, il prit la main de Fabrizio dans la sienne et l’emmena. On eût dit d’un porte-avion remorquant un kayak. Roméo rappela son fils pour lui dire de mettre à la poste la lettre destinée à la marna.
*
* *
Parce qu’elle était sa voisine la plus proche, Roméo rendit d’abord visite à Sophia Savoza. La strip-teaseuse l’accueillit sans chaleur. Elle semblait lui en vouloir de ne lui avoir pas révélé sa qualité de policier dès leur première rencontre. De très mauvaise grâce, elle le précéda dans son living-room où son anatomie sans voile s’étalait sur les murs. Gêné, Tarchinini ne savait où poser les yeux. Des pensées coupables commençaient à folâtrer dans sa cervelle légèrement congestionnée. Il montra les photos et bégaya :
— Char… mant.
— C’est vrai ?
Elle retrouvait son sourire. Pour achever de l’amadouer, le Véronais voulut renchérir.
— Il faudrait être difficile !
— Oh ! moi, elles ne me plaisent pas toutes-mais il y en a où je me reconnais totalement. Tenez, celle-ci par exemple…
Et, incontinent, elle lui mit sous le nez une photo la représentant côté pile et elle commenta :
— Ce que je préfère, c’est la sincérité. Vous ne trouvez pas que là, c’est tout à fait moi ?
Suant à grosses gouttes, le mari de Giulietta assura que, n’ayant pas le privilège de connaître assez intimement son hôtesse, il lui était difficile de juger d’une ressemblance qui… que…
— Oh ! s’il n’y a que ça, je vais vous montrer !
Sans plus de façon, Sophia commença à se retrousser et Roméo poussa une sorte de cri d’otarie pour l’adjurer de n’en rien faire et qu’il préférait la croire sur parole. La signorina le regarda, soupçonneuse :
— Vous, vous auriez des mauvaises idées que ça ne m’étonnerait pas ! D’ailleurs, les vieux, il n’y a pas plus dégoûtants, c’est connu !
Vexé beaucoup plus par l’épithète de « vieux » que par l’autre, Tarchinini, subitement refroidi, déclara avec rudesse :
— Signorina, je ne suis pas ici pour discuter de vos charmes, mais bien pour mener l’enquête dont je suis chargé au sujet du meurtre d’Antonio Montarina.
— Naturellement, parce que je fais du strip-tease, je suis capable de tuer un homme, hé ?
— Ma qué ! Qui vous accuse ?
— Vous !
— Moi ?
— Si vous croyez que je ne le vois pas dans votre œil !
— Laissez mon œil tranquille et parlez-moi de vous ?
— Qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte ?
— Tout !
— Ça n’est pas drôle…
— Laissez-moi le soin d’en juger.
— Bon. Eh bien ! je suis née à Colle di Valdelsa, à huit kilomètres de Poggibonsi, il y a vingt-trois ans. Mes parents étaient des paysans sans jamais un sou à la maison. En classe, je valais pas grand-chose. J’étais la première seulement au catéchisme. J’avais pas quinze ans que les garçons commençaient à me tourner autour parce que des balancées comme moi, y en avait pas beaucoup. Seulement, j’étais sage, la preuve c’est que j’ai été choisie comme rosière lorsque j’ai attrapé mes dix-huit ans. Et puis, j’étais amoureuse… Mario Laterza, il s’appelait. On était presque voisins. On s’était juré de se marier. Il avait quatre ans de plus que moi. Il est parti. Il m’a écrit deux ou trois fois pour me donner de ses nouvelles. J’ai su qu’il travaillait à Florence. C’est pour ça que je suis venue au commencement de l’année dernière. Seulement, quand je me suis pointée là où il habitait pour lui demander si oui ou non on allait se marier, il était parti sans laisser d’adresse depuis plus de trois ans. J’ai pas osé rappliquer à Colle di Valdelsa, et j’ai cherché du travail. Je gagne bien ma vie, vous savez.
— Vous n’êtes jamais retournée chez vous ?
— Non… J’envoie des sous à ma mère. Elle croit que je suis femme de chambre.
— Vous craignez de lui révéler votre métier ?
— Ils ont l’esprit si étroit dans mon patelin…
— Et Mario ?
— Oh ! Mario…
Elle eut un geste du bras pour indiquer que le nommé Mario s’était, en somme, dissous dans le temps.
— Vous connaissiez cet Antonio Montarina ?
— Comme tout le monde, pas plus.
— C’est-à-dire ?
— Ben, je le rencontrais quelquefois chez la comtesse quand je déposais ma clef ou que je prenais mon courrier. Il me plaisait pas.
— Pourtant, vous avez fondu en larmes quand vous vous êtes trouvée devant son cadavre ?
— Les morts, ils m’impressionnent même quand ils sont dans leur lit, alors celui-là, vous pensez !
— Eh bien ! signorina, je crois que nous en resterons là pour ce matin. Encore un mot, toutefois. Vous comptez exercer longtemps le métier que vous faites présentement ?
— Jusqu’à ce que j’aie assez d’économies pour pouvoir rentrer dans mon patelin et y être considérée comme une dame !
— Alors, bon courage, mon petit !
— Signor Commissaire… Je crois que je me suis trompée sur votre compte. Vous devez être un chic type dans le fond. Tenez, je vais vous dédicacer la photo qui a semblé vous plaire tout à l’heure, vous la mettrez dans votre bureau, hé ?
Tarchinini ferma les yeux pour imaginer la réaction de Giulietta découvrant cette anatomie féminine dédicacée.
— Vous êtes très gentille, Sophia, mais cela risquerait de m’attirer des ennuis avec ma femme.
— Ma qué ! comment peut-on être si plein de préjugés, hé ?
— Je me le demande…
*
* *
Oubliant pour un instant son âge, Giulietta et les bambini, Roméo regardait Adda, assise en face de lui avec les yeux énamourés d’un jeune homme un peu retardé et qui viendrait de découvrir l’amour. C’était une puissance inépuisable d’émerveillement qui donnait au commissaire Tarchinini une jeunesse intérieure se prolongeant au-delà des limites communément admises par les règles de la bonne société. Ses ennemis le disaient roué alors qu’il était puérilement sincère. Sa tendresse pour le beau sexe allait de pair avec sa conviction profonde qu’il était demeuré pour lui un doux péril.
La signorina Fescarolo se sentait bien un peu gênée par les signes évidents de cette adoration muette mais, en vérité, et sans qu’elle eût su dire exactement pour quelles raisons, elle ne prenait pas ce petit homme très au sérieux. Indifférent à toutes ces manigances, Giacomo s’appliquait à élever une tour avec des cubes superposés. Hélas ! elle s’écroulait toujours, Giacomo avait moins de chance que les architectes pisans.
— Adda… (bien qu’il ait fait sa connaissance la veille seulement, Roméo trouvait tout naturel d’appeler par son prénom cette jeune femme envers qui il ressentit un indiscutable penchant)… la police florentine, au courant de ma réputation, m’a demandé comme un service que je ne saurais refuser, d’élucide le meurtre d’Antonio Montarina. Je trouverai le coupable, Adda. Je me suis donné quarante-huit heures pour lui mettre la main au collet. Je remplirai le contrat passé avec moi-même car Tarchinini ne peut se permettre de décevoir Tarchinini. Je tiens à ma propre estime. Vous me comprenez, hé ?
— Je vous comprends, signor Commissaire et je vous approuve.
— Je tenais à vous assurer que j’irai jusqu’au bout de la tâche entreprise, quels que soient les chemins qu’il me faudra emprunter et les obstacles que je devrai franchir.
— J’en suis convaincue, signor Commissaire. Ma qué ! pourquoi dites-vous ça, hé ?
— Parce qu’il me déplairait autant de devoir arrêter le docteur Viarnetto pour meurtre que d’apprendre votre… enfin, votre inconduite.
Les larmes montèrent aux yeux d’Adda.
— Vous… vous n’avez pas… pas le droit de me parler de cette façon… Gianfranco n’est pas un assassin ! à moins d’être fou, pourquoi aurait-il tué ce garçon boucher qu’il ne connaissait pas ? Quant à moi… oh ! signor Commissaire… c’est à cause de Giacomo, hé ?… que vous me traitez…
Elle ne put achever et fondit en larmes. Bouleversé, Tarchinini se leva, se précipita vers la pleureuse, la prit dans ses bras, lui caressa les tempes, la berça un instant sur sa poitrine, lui embrassa le front tout en chantonnant :
— Là… là… ma qué ! en voilà des manières, hé ? Alors on a un gros chagrin et c’est Roméo qui l’a causé ce gros chagrin.
Abolissant le temps et l’espace, Roméo se croyait à Vérone, en train d’apaiser la peine de sa fille aînée Giulietta quand elle avait été punie à l’école et qu’assise sur les genoux du papa, elle lui racontait ses malheurs. Avec sa pochette, Tarchinini essuyait les yeux d’Adda et, le plus simplement du monde, l’obligeait à se moucher dans la dite pochette.
Un rugissement de colère creva cette innocente idylle. Roméo et Adda sursautèrent et Giacomo épouvanté, courut se réfugier dans le giron maternel. Sur le seuil, le docteur Viarnetto essayait de retrouver son souffle épuisé d’un coup par son cri indigné. Surpris et sincère, le Véronais s’enquit :
— Quelque chose qui ne va pas, docteur ?
L’autre en bégaya de rage.
— Quelque… que… que… chose… quiqui… qui… ne. Ma qué ! vous vous foutez de moi, par-dessus le marché, hé ?
Tarchinini se tourna vers Adda.
— Qu’est-ce qu’il a ?
— Il est jaloux.
— Jaloux ? De qui ?
— De vous, signor Commissaire.
— De moi ?
Une bouffée d’orgueil transporta littéralement Roméo à des hauteurs vertigineuses. Il eût souhaité que sa Giulietta fût là pour entendre… Il ne lui venait pas à l’esprit que la signora Tarchinini eût pu prendre les choses d’une toute autre façon.
— Jaloux ou pas, ce ne sont pas des manières ! Où vous croyez-vous donc, docteur ?
— Chez ma fiancée et vous n’avez rien à y faire et encore moins à la peloter devant son fils ! Vous devriez avoir honte !
Roméo s’adressa à Adda :
— Il est fou ou quoi ?
La situation en était arrivée à un tel point d’incompréhension qu’il fallait ou se battre ou s’expliquer. Le Véronais et le Florentin, en gens intelligents, préférèrent s’expliquer. Bien qu’il eut beaucoup de peine à l’accepter, Gianfranco Viarnetto finit par admettre que la sympathie – efficiente – du policier pour sa fiancée ne dépassait pas les limites de la bienséance et ne pouvait éveiller le moindre soupçon. Giacomo, heureux devoir les grandes personnes se calmer, les embrassa à tour de rôle et Roméo fut touché par cette caresse enfantine. Le docteur ramena le débat à son point de départ en s’enquérant :
— Au fait, Adda, pourquoi pleurais-tu ?
— Parce que le signor Commissaire m’a promis d’arrêter le meurtrier d’Antonio Montarina.
— Et alors ?
— Il a eu l’air de penser que c’était toi.
Ulcéré, Viarnetto reprocha au policier :
— Ma qué ! ne m’aviez-vous pas dit que vous croyiez à mon innocence ? Pourquoi avez-vous changé d’avis ?
Ce fut Adda qui répondis :
— Parce qu’il n’est pas certain que je sois une fille sérieuse et donc que tu aurais pu avoir de bonnes raisons d’être jaloux de Montarina.
Gianfranco se dressa, menaçant, devant le Véronais.
— Vous avez osé penser ça ?
— Docteur, mon devoir de policier est d’étudier toutes les hypothèses. De plus, n’oubliez tout de même parque vous êtes le suspect numéro 1.
— Ma qué ! vous…
— Figurez-vous, jeunes gens, qu’à la police, on est convaincu qu’Adda Fescarolo cache quelque chose, ce qui la rend suspecte et par contre-coup, vous rend suspect, docteur.
Adda protesta :
— Je n’ai rien à cacher ! Tout le monde connaît l’existence de Giacomo ! et Gianfranco est le seul dont l’opinion m’importe !
— Je n’en suis pas sûr. Viarnetto cria :
— Je vous défends de mettre la parole d’Adda en doute !
— Vous n’avez rien à me défendre et si vous tenez à ce qu’on croie votre fiancée, demandez-lui donc pourquoi elle affirme être née à San-sepolcro où personne ne la connaît ?
Le docteur dit doucement :
— C’est vrai, Adda mia ? Elle pleurait sans bruit.
— C’est vrai, Gianfranco. Je suis née à Livergnano… J’ai menti à cause de mes parents. Ils ignorent l’existence de Giacomo. Je craignais que, pour une raison ou une autre, on fosse une enquête là-bas…
Le docteur prit Giacomo dans ses bras.
— Si tu le veux, Adda, nous irons ensemble à Livergnano et je demanderai pardon à tes parents de t’avoir donné un enfant avant de passer par l’église et la mairie.
Ce genre de scène – quand il avait l’occasion d’y assister – tuait littéralement Tarchinini, car son bon gros cœur, débordant de tendresse, le poussait à se mêler à des effusions ne le regardant en rien, uniquement pour le plaisir. Il n’y manqua pas cette fois-là et quand il quitta l’appartement d’Adda Fescarolo, il avait les yeux comme des tomates et n’en finissait pas de s’essuyer la figure. Il se moucha longuement avant de lever la main pour frapper à la porte de l’extra-lucide Tosca del Valeggio. Mais au moment où il allait taper, on ouvrit silencieusement et une voix chuchota :
— Entre, Roméo… Cela fait assez longtemps que je t’attends.
Subjugué, Tarchinini se laissa prendre par la main et conduire dans un étrange salon où la misère le disputait à l’originalité. La pauvreté se traduisait dans les meubles bancals aux instabilités rattrapées par des morceaux de bois, les rideaux déchirés, les fauteuils perdant leurs crins par de multiples blessures et l’originalité se trahissait par des oiseaux empaillés, un squelette d’aigle ou de vautour juché sur un perchoir, une boule de cristal plus ou moins rafistolée, une cafetière en émail dont l’émail avait sauté en nombre d’endroits et enfin, par un jeu de tarots où la couleur des cartes disparaissait sous la crasse des ans.
Tosca del Valeggio fit asseoir le Véronais dans le fauteuil apparemment le plus solide et fixant son visiteur dans les yeux, lui dit avec force :
— Tu es beau.
Tarchinini ne tenait pas à se montrer impoli en protestant d’autant plus, qu’au fond, il partageait un peu l’avis de son hôtesse.
— Signora, je dois vous apprendre…
— Tais-toi, mon âme… Je sais tout ce que tu pourrais dire pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Contentons-nous d’admettre que les dieux l’ont voulu. Tu es venu à moi parce que c’est écrit dans le Ciel de toute éternité.
— N’exagérons pas, signora. C’est un télégramme de Vérone qui…
— N’essaie pas, Roméo, de vulgariser les décisions du Destin. Je n’ignore pas que nous sommes promis l’un et l’autre. Parle, confesse-toi mon beau vainqueur et dis-moi ce que tu espères de ta Tosca ?
— Qu’elle m’apprenne si elle connaissait ou non le garçon-boucher Antonio Montarina ?
Elle le regarda, stupéfaite, puis d’une voix triste, elle répondit :
— Est-ce bien toi, Roméo, qui t’exprimes de la sorte alors que nous nous retrouvons après tant et tant d’années ?
— Au vrai, signora, je ne saisis pas très bien ce que vous racontez, ça n’a d’ailleurs aucune importance. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si, oui ou non, vous soupçonnez quelqu’un de l’assassinat d’Antonio Montarina ?
— Tu veux m’obliger à redescendre sur terre, Roméo ?
— Et le plus tôt sera le mieux. De plus, je vous serais infiniment obligé, signora, de m’appeler « signor Commissaire ». Je suis chargé de l’enquête sur le meurtre qui a eu lieu cette nuit dans cette maison.
— Ma qué ! qu’est-ce qu’un être d’élite comme moi pourrait avoir à faire avec un garçon-boucher ? Je suis vénitienne, signor Commissaire, et les femmes de Venise peuvent être écrasées par le malheur, jamais elles n’oublient ce qu’elles se doivent à elles-mêmes !
— J’ignorais que…
— Je suis née près du Pont des Soupirs.
— Vraiment ?
— Mon père était banquier et ma mère comptait deux doges parmi ses ancêtres ! Et voilà où en est réduite leur descendante…
— J’aime bien Venise.
— Qui n’aimerait Venise ?
— Je me plaisais à aller faire mes dévotions à San Giuliano qui se reflète dans le Grand Canal.
— C’était une de mes églises préférées.
— Et je ne sais rien de plus émouvant1 que le Castelvecchio qui domine San Marco.
— Nous avons les mêmes goûts, signor Commissaire !
— Vous m’en voyez flatté, mais revenons à nos moutons. Supposons que le garçon-boucher soit monté vous voir, hier soir ?
— Moi ? Je n’ignore pas que je parais encore très jeune, cependant d’ici à troubler le cœur d’un quasi jouvenceau…
— Ce jouvenceau sortait de prison.
— Quelle horreur !
— N’est-ce pas ? J’ai dans l’idée qu’il a pu vous rendre visite.
— Dans quel but ?
— Pour vous faire chanter.
Tosca del Valeggio eut un rire que le Véronais jugea encore très jeune.
— On ne tente pas de faire chanter une voyante extra-lucide !
— Sans doute, mais une ancienne voleuse à la tire ?
Une cohorte d’anges passa à la file indienne.
— Ah ?… Volas êtes au courant ?
— Bien sûr.
— Et alors ?
— Montarina vous faisait-il chanter, oui ou non ?
— A peine. Je ne suis pas riche. C’était un parfait petit salaud.
— En somme, vous ne regrettez pas de l’avoir tué ?
— Non, signor Commissaire, je regrette de ne pas l’avoir tué.
— Comment connaissait-il votre secret ?
Tosca haussa les épaules.
— Il savait tous les secrets des locataires de cette maison.
A cet instant parvint jusqu’au salon le bruit d’une porte palière qu’on refermait. Roméo pensa que le docteur Viarnetto retournait à ses malades et soudain, une idée lui traversa l’esprit. Sans même prendre congé de Tosca, il sortit en trombe, traversa le palier, frappa chez Adda et, quand elle lui eut ouvert, il la repoussa doucement en lui disant :
— Le docteur ignorait que vous n’étiez pas de Sansepolcro ?
— Oui… Vous le savez… Je l’ai avoué en votre présence.
— Vous n’étiez pas seule à connaître la vérité, Adda, n’est-ce pas ?
Elle pâlit, se troubla :
— Je… je ne comprends pas ?
— Ma qué ! vous comprenez très bien, au contraire ! Combien Antonio Montarina vous extorquait-il chaque mois pour ne pas écrire à vos parents ?
*
* *
Les promeneurs parcourant la via Pietra, à Vérone, suspendirent leur pas en entendant le cri farouche, terrible qui, brusquement, éclata en cette fin de matinée et domina le trafic de la rue. Le facteur qui sortait du 126 d’où venait de jaillir le hurlement, exécuta un tel saut qu’il s’étala sur le trottoir avec son chargement de lettres que les curieux piétinèrent sans vergogne, en dépit des gémissements et supplications du malheureux fonctionnaire, pour se précipiter là où il leur paraissait qu’un événement épouvantable venait d’avoir lieu. Sous le choc de l’émotion, une future maman s’imagina ressentir des douleurs prémonitrices et se précipita dans une pharmacie afin qu’on appelât une ambulance. On ne sut jamais pourquoi, en entendant cette clameur, un aveugle vendant des billets de loterie, se figura que la guerre venait à nouveau d’éclater et se mit à distribuer ses billets gratuitement afin de procurer quelque joie à ses compatriotes avant l’anéantissement obligatoire. Quand on le détrompa, on eut toutes les peines du monde à l’empêcher de se jeter dans l’Adige.
Seul, l’agent de police Bagheria qui approchait de la retraite et qui connaissait tous les habitants du quartier depuis leur plus tendre enfance ou presque, ne se troubla pas. Du premier moment, il sut que ce cri déchirant n’avait pu être poussé que par Giulietta Tarchinini, l’épouse du fameux commissaire. Sans se troubler, tout en forçant les gens à circuler, il s’en fut se camper devant le 126 et rugit :
— Oh ! Giulietta !
La familiarité du vieux flic s’expliquait du fait que la signora Tarchinini était une amie d’enfance née dans sa propre maison et à laquelle il avait souvent eu l’occasion – pour soulager les parents de Giulietta – d’administrer les fessées que sa turbulence méritait. Giulietta parut à la fenêtre, sa bonne grosse figure ruisselante de larmes.
— Qu’est-ce que tu veux, Benito ?
— Que tu te calmes ! Tu penses un peu à l’exemple que tu donnes ?
— Tire-toi de là, je vais me jeter par la fenêtre et je ne veux pas te blesser !
— Tu es folle ?
— De honte, oui !
— Et pourquoi ?
— Parce que j’ai épousé un débauché ! un sadique ! un abominable !
— Tu te rends compte que tu parles de ton mari et que tes enfants t’écoutent ?
— Je m’en fiche ! Plus rien n’a d’importance pour moi que ma honte ! Je te répète de te tirer de là, Benito, sans ça tu risques d’aller passer pas mal de mois à l’hôpital, je pèse gros, tu sais !
— D’accord… Je m’écarte, mais avant, dis-moi ce que je dois faire des enfants lorsqu’ils n’auront plus de mère ?
— Mes enfants ? et pourquoi ils n’auraient plus de mère, mes bambini ?
— Dame ! si tu te suicides… ils seront orphelins, hé ?
Cette éventualité parut apaiser la signora Tarchinini. Après un temps d’hésitation, elle décréta :
— C’est bon, je vais réfléchir… Je me suiciderai plus tard… D’ailleurs, je sens qu’il y a quelque chose qui brûle à la cuisine… A te revoir, Benito !
Giulietta disparut de la fenêtre et l’agent dissipa l’attroupement qui s’était formé, les Véronais comme tous les habitants de toutes les villes adorant les faits-divers. Assez Italiens pour ne rien ignorer des ravages que faisait l’imagination dans les cervelles de leurs concitoyens, pas un instant ils n’avaient cru que la grosse dame se jetterait par la fenêtre, mais ils s’étaient amusés à le croire, pour le plaisir. Maintenant que tout rentrait dans l’ordre, ils ne savaient pas s’ils le regrettaient ou non.
Benito Bagheria ne pensait pas que Giulietta ait eu la moindre intention de se suicider. Néanmoins, brave homme et aimant bien les Tarchinini, il attendit qu’un collègue vînt le remplacer pour monter chez la pseudo-désespérée. Quand elle lui ouvrit la porte, la marna dit simplement :
— Tu m’apportes ton dernier adieu, Benito ?
— Giulietta, cela fait bientôt cinquante ans que je te fréquente et bien que tu sois la femme du commissaire Tarchinini, je dois avouer que tu es aussi casse-pied que tu l’étais, il y a un demi-siècle !
— Benito, tu as de la chance que j’aie usé toute ma réserve de larmes, parce que de constater que toi aussi, tu me trahis, je pleurerais qu’on pourrait plus m’arrêter !
— T’es pas un petit peu gênée de te conduire de cette façon devant les bambini ?
La marna eut un long gémissement où vibraient les nuances enchevêtrées de la douleur, de l’ironie et de l’amertume.
— Gênée d’être martyrisée ? bafouée ? reniée ? salie aux yeux de mon enfant, de mon Fabrizio, de mon chérubin ?
— Ma qué ! Giulietta, tu perds la tête ou quoi ?
Elle se contenta de lui tendre la lettre qu’elle avait reçue de Florence.
— Lis ! ça t’expliquera.
Benito entreprenait la lecture de la missive expédiée par Tarchinini lorsque Giulietta la lui arracha des mains.
— Oh ! dis, tu ne manques pas de toupet, Benito ! Ce que mon mari m’écrit, ça ne te regarde pas ! Ça n’a beau être que des mensonges, ce sont des mensonges personnels. Tu es devenu drôlement indiscret, Benito !
— Ma qué ! cette lettre, je te l’ai pas prise, hé ? c’est toi qui…
— Pour que tu lises ce que dit le petit, en bas, après la signature de son père dénaturé !
Et Bagheria lut l’étrange compte rendu suivant tracé d’une plume plus astucieuse que forte en orthographe.
« Marna,
« On a fait un bon voyage. Papa s’est disputer avec un autre signore et je lui ait donner un coup de pied dans les jambes. La contesse, c’est une vieille qui a beaucoup de poils et c’est pas agréable quand on l’embrasse. Heureusement, en face de notre chambre, y a une dame bien gentille qui se promène toute nu. C’est rigolo. Pendant que je t’écris, le papa il a été chez la dame toute nu. Ça fait longtemps qu’il est parti et je m’ennui. Ton fils qui t’aime et qui t’embrasse. Fabrizio Tarchinini. »
L’œil chargé d’éclairs, Giulietta s’enquit :
— Alors, Benito ?
— Il est rigolo, ce petit.
— Tu trouves que c’est rigolo un père qui emmène son fils chez des créatures ? un fils qui n’a pas douze ans ?
— C’est-à-dire…
— C’est-à-dire, Benito, que tu ne vaux pas mieux que Roméo ! Non seulement, tu juges normal qu’il me trompe mais encore qu’il mêle mon Fabrizio à ses dépravations ?
— Je crois que tu exagères, Giulietta.
— Tu as lu, pourtant ?
— Fabrizio ne s’est peut-être pas rendu compte de ce qu’il écrivait ?
— Ne te gêne pas ! vas-y ! Raconte partout que mon Fabrizio est un demeuré ; après avoir sali la mère, tu salis l’enfant, c’est normal !
Benito était patient mais la patience des agents a des limites. Il se leva, raide comme un piquet et déclara d’une voix solennelle :
— Giulietta Tarchinini, tu as toujours été une comédienne. Je constate que tu n’as pas changé et je crains que tu ne changes jamais ! Si tu veux écouter le conseil d’un homme qui a assisté à bien des saloperies au cours de son existence, attends que ton mari soit de retour pour lui réclamer des explications.
— Je ne pourrai pas !
— Ma qué ! pourquoi, tu ne pourras pas, hé ?
— Parce que lorsqu’il rentrera, s’il espère me parler il lui faudra s’adresser à mon cadavre !